Abstract :
[fr] Lorsque Diderot ranime le personnage du grand mathématicien dans son Rêve de d’Alembert, celui-ci modèle de ses mains le dispositif microscopique d’un oculaire et d’un support d’image dans le cadre duquel les animalcules de Needham lui permettent d’avoir une vision sublime du monde et de son ordre. Ici s’établit la différenciation d’une médiation textuelle, d’une figuration fictionnelle, du discours de l’Anguillard et d’une description de l’image esthétique, dans laquelle nous identifions l’idée diderotienne d’une interprétation de la nature comme un ajustage optique, idée qui est également développée dans ses autres textes épistémologiques.
Nous discuterons ses approches d’une lecture de l’image scientifique à partir des apports de trois de ses contemporains : a) Abraham Trembley, que Diderot apprécie comme le représentant d’une philosophie expérimentale réussie, parvient à une mimesis documentaire de la réalité expérimentale. À son objectif d’une pratique expérimentale se joint une intuition sûre grâce à laquelle il observe l’expérience et la capture au moment juste. b) Par contre, les microscopies de Needham dépassent cette fonction mimétique. La critique formulée par Diderot le concerne non seulement parce qu’il fait précéder le principe de l’analogie à celui de l’examen, en sorte qu’on reproche à ses images d’être préconçues ; mais aussi parce que ses déductions d’une semence universelle et de la force végétative sont ensuite réorientées vers des modèles métaphysiques. c) Finalement, la prise de distance de Diderot vis-à-vis de l’approche de Buffon permet une interprétation sensiblement radicalisée du polype dans laquelle l’acception d’un être premier en tant que point de départ d’une nature en différenciation permanente constitue une hypothèse non assurée, mais épistémologiquement féconde. En elle, les parties du tableau épistémologique ou taxinomique trouvent leur foyer provisoire.
En dialoguant avec ces argumentations diverses, Diderot travaille à une lecture originale des images scientifiques qui bénéficie de la distance interprétative pour établir la conjecture comme stratégie heuristique. Ainsi, les images développent un nouveau potentiel en tant qu’appareillages qui mettent en rapport des textes et des lectures divergentes, le visible et l’invisible. En outre, les ramifications et les interdépendances des êtres représentés se trouvent en analogie permanente avec les tableaux des savoirs et des êtres, systèmes élastiques que Diderot réajuste sans cesse à l’expérience esthétique. Dans les intervalles des images entre elles, dans les interstices des particules représentées et finalement dans les écarts des entités logiques, des rapports et des interférences s’installent et l’intérêt diderotien pour le passage enregistre les effets de forces énergétiques. De plus, c’est justement l’image microscopique qui permet une expérience sublime du « petit monde ». Et même si la goutte de Needham, telle que l’observe l’Alembert raconté par Diderot, ne s’étend pas à la perspective métaphysique dans laquelle l’Anguillard cherche à rattacher la fermentation à la genèse biblique, c’est cette rêverie sublime qui permet à Diderot de défendre la légitimité de sa philosophie naturelle, philosophie qui, par l’analogie des images, procure à la matière vivante son expression esthétique.
Disciplines :
Literature
Arts & humanities: Multidisciplinary, general & others
Biochemistry, biophysics & molecular biology