Literature and Literary Theory; History; Cultural Studies
Résumé :
[en] As a matter of fact, the pulverization of Falconet’s statue, which Diderot sketches out at the beginning of his Rêve de d’Alembert (1769), does not represent an iconoclastic act, but it’s rather an attempt to tell the genesis of a conscience – regardless of the traditional forms of the myth, but on the basis of its material. This way, the materialist approach to physics is reflected by a materialism of writing that decomposes in order to create something new. In doing so, Diderot readopts his reflection on the corpuscular and atomist theories: it’s exclusively in relation to a second molecule that the particle’s function within a system can be defined. Thus, the philosophe affirms the pivotal importance of the experience of alterity with the aim to integrate a part into a whole, but also of the completion of conscience as self-consciousness. By analogy, the sensibility of the living being arises due to the rhythm of an external impulse and its absence. In the context of such a dialogic founding of the subject, Diderot ends up suggesting a rearrangement of Falconet’s sculpture, whereby the sculptor doesn’t content himself with only kneeling at Galatea’s feet but actually touches her.
D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert, dans Œuvres philosophiques, éd. M. Delon, Paris, Gallimard, 2010, «Bibliothèque de la Pléiade», p. 347, cité ensuite comme DOP.
F. Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs [1605], éd. M. Le DŒuff, Paris, Gallimard, 1991, p. 33).
Pour l'histoire du mythe dans les arts et la littérature cf. G. Neumann, Pygmalion: Die Geburt des Subjekts aus dem Körper der Statue, dans R.L. Fetz, R. Hagenbüchle et P. Schulz (éd.), Geschichte und Vorgeschichte der modernen Subjektivität, Berlin - New York, de Gruyter, 1998, t. II, pp. 782-810.
A.-F. Boureau-Deslandes, Pigmalion, ou la statue animée, Londre, Samuel Harding, 1741, p. 30; nous soulignons.
Puisque dans une perspective matérialiste l'âme en tant que telle est tout d'abord encore en gestation, Maupertuis à bon droit soulève la question de savoir où il faudrait situer le moment de sa genèse chez l'embryon (Essai sur la formation des corps organisés, Berlin, 1754, § LVI, p. 56). Il répond par la négative à l'option de distinguer sur un plan taxinomique entre les minéraux et les animaux, entre l'animal et l'homme. Selon Maupertuis, l'animation de la matière se produirait plutôt dans des gradations imperceptibles. Lors de la création, Dieu aurait muni chaque particule de cette faculté sensible, qu'elle soit plutôt latente ou bien manifeste. Diderot renforcera ce retrait de la métaphysique en identifiant l'âme avec la matière. À ce sujet, cf. A. Ibrahim, «Chair», dans S. Audidière, J.-Cl. Bourdin et C. Duflo (dir.), Encyclopédie du Rêve de d'Alembert de Diderot, Paris, CNRS Éditions, 2006, pp. 83-86.
J.-J. Rousseau, Pygmalion, scène lyrique, dans Œuvres complètes, éds. B. Gagnebin et M. Raymond, Paris, Gallimard, 1964, «Bibliothèque de la Pléiade», p. 1225.
M. Delon, Diderot cul par-dessus tête, Paris, Albin Michel, 2013, pp. 295-304.
L'interprétation matérialiste de la mort comme une survie de la matière sous des formes différentes atténue la portée inexorable de la malédiction divine: «memento quia pulvis es, et in pulverem reverteris» (D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 357; cf. Gen. 3, 19).
D. Diderot, Du Calcul des probabilités, dans Œuvres complètes, éds. H. Dieckmann, J. Proust et J. Varloot (DPV), t. II, Paris, Hermann, 1975, p. 351).
D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 345.
Michel De Montaigne, Les Essais, éd. J. Céard, Paris, Le livre de poche, «Pochotèque», 2001, III/13, p. 1659 s.
Cf. W. Anderson, Diderot's Dream, Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1990, p. 180.
D. Diderot, Correspondance, éd. G. Roth, t. II, Paris, Éditions de Minuit, 1956, p. 282.
Robinet nuancera cette question: «Tout étant lié dans la marche de la Nature, comment a-t-elle pu passer de la matière inorganisée à la matière organisée, ou de celle-ci à l'autre? Il n'y a point de liaison, point de passage entre le positif et le négatif [⋯]. S'il y a de la matière brute et de la matière organisée dans l'univers, l'univers n'est plus un tout, un seul système [⋯] Une partie des Etres n'a plus de rapport avec les autres. Il n'y a point de liaison, point de passage entre le positif et le négatif [⋯]. S'il y a de la matière brute et de la matière organisée dans l'univers, l'univers n'est plus un tout, un seul système [⋯] Une partie des Etres n'a plus de rapport avec les autres» (J.-B. R. Robinet, De la Nature, t. IV, Amsterdam 1766, p. 81 s.
J. Roger, Les sciences de la vie dans la pensée française au xviiie siècle, Paris, Albin Michel, 1963, p. 646 s.) De plus, Robinet annule la différence entre les matières organique et anorganique en insérant la mortalité humaine et l'effacement de ses biens propres dans une même circulation de la matière. L'animal et l'objet ne représentent que des échelons différents d'une même matière vivante (p. 647).
Nous empruntons la formule à Louis Althusser, dont l'interprétation des matérialistes antiques reflète la perte de profondeur métaphysique du monde postmoderne: la rencontre des particules est qualifiée de principe fondateur du monde, parce c'est elle qui leur attribue tout d'abord leur être-au-monde et leur réalité («Le courant souterrain du matérialisme» [1982], dans Écrits philosophiques et politiques, t. I, Paris, Stock/IMEC, 1999, p. 542). De manière inexplicable, Althusser n'a pas intégré Diderot dans la liste de ceux qui, d'après lui, continuent à repenser l'idée d'un matérialisme de la rencontre.
D. Diderot, Correspondance II cit., p. 282.
Cf. DOP, p. 1045, n. 51.
D. Diderot, Correspondance II cit., p. 283.
À propos du débat entre Maupertuis et Diderot cf. Ch. T. Wolfe, Endowed Molecules and Emergent Organization: The Maupertuis-Diderot Debate, dans «Early Science and Medicine» 15, 2010, pp. 38-65.
Déjà dans une anecdote à propos de la chienne Thisbé de Mme d'Aine, belle-mère du baron d'Holbach, anecdote rapportée dans cette même lettre du 15 octobre 1759, l'idée de la matière morte est abordée dans le contexte de l'alimentation: «Pourriez vous me dire comment elle est devenue si rondelette?⋯ Pardi en se crevant de mangeaille comme vous et moi⋯ Fort bien, et ce qu'elle mangeait vivait il ou non?⋯ Quelle question, pardi non, il ne vivait pas⋯ Quoi! une chose qui ne vivait pas appliquée à une chose qui vivait est devenue vivante et vous entendez cela⋯ Pardi, il faut bien que je l'entende. J'aimerais tout autant que vous me dissiez que si l'on mettait un homme mort entre vos bras, il ressusciterait. Ma foi, s'il était bien mort, bien mort» (D. Diderot, Correspondance II cit., p. 283).
Diderot discute les théories différentes dans les Pensées sur l'interprétation de la nature, § L, pp. 319-323.
Cela ne concerne explicitement pas le deuxième récit du Rêve, dans lequel se fait remarquer encore l'empreinte mécanique et l'influence de Needham; ici se raconte en filigrane la genèse d'un d'Alembert illégitime depuis la masse informe de molécules vers l'embryon et l'accouchement (D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 348).
D. Diderot, Pensées sur l'interprétation de la nature cit., § XXXVI, Art. 2, pp. 306 s.
D. Diderot, «Animal», dans ENC, t. I, p. 472
Au sujet de la notion de la molécule chez Buffon et Diderot cf. G. Stenger, L'atomisme dans les "Pensées philosophiques". Diderot entre Gassendi et Buffon, in «Dix-huitième siècle» 35, 2003, pp. 93-98.
D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 360.
D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 368.
Dans les Éléments de physiologie, Diderot a intensifié l'idée d'une sensibilité active, même après la décomposition du corps humain, par l'image des membres qui frémissent encore sur le champ de bataille, prouvant ainsi l'autonomie des organes (DEP, p. 121).
Seulement pour le cas d'un «oeil instruit par le toucher» (Art. «Étendue», dans ENC, t. VI, S. 44), Diderot soutient que l'Œil est capable d'identifier les formes, indépendamment du toucher (Lettre sur les aveugles, in DOP, p. 172, p. 176).
D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 350.
Ibid., pp. 351 s. Au sujet du clavecin comme méta-métaphore, qui illustre sa méthode de l'analogie sous forme même d'une analogie de corde et de fibre de chair, se référer à A.B. Maurseth, La Règle des trois: l'analogie dans "Le Rêve de d'Alembert", dans «Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie» 34, 2003, pp. 165-183. Maurseth reflète l'idée de la vibration aussi sur le plan de l'ensemble du texte et conclut, que les parties du triptyque et ses personnages reprennent en écho les visions de d'Alembert.
W. Anderson, Diderot's Dream cit., p. 49.
D. Diderot, Le Rêve de d'Alembert cit., p. 375.
D. Diderot, Salons cit., p. 210.
Anderson amplifie les phénomènes du choc et de la vibration dans un modèle de lecture, d'après lequel l'Œuvre, unité discontinue sous forme d'un système élastique, met en communication, voire en oscillation le texte et son lecteur. Cf. Anderson, Diderot's Dream cit., pp. 34 s., p. 203.
D. Diderot, Salons cit., p. 97.
J.-F. De Saint-Lambert, «Génie», dans ENC, t. VII, p. 582; article corrigé par Diderot.
D. Diderot, «Encyclopédie», ENC, t. V, p. 641
Alors même que Jacques Roger identifie à bon droit dans ce passage une révérence au déisme de l'Abbé Pluche (Les Sciences de la vie au xviiie siècle cit., p. 615), Michel Delon voit cette posture du génie plutôt déjà dans une lignée entre respectivement le philosophe ou l'encyclopédiste et le poeta vates, tel qu'il surgira au début du xixe siècle; tous les trois se ressembleraient par leur position à part, un recul noble par rapport à un univers se révélant à l'homme comme étant désormais une scène de la création, et que seul le génie arrive à interpréter. En d'autres termes, si la pensée matérialiste continue à marginaliser la position de l'homme dans l'univers, elle permet pourtant toutefois des aperçus impartiaux de la nature en acte (M. Delon, L'Idée d'énergie au tournant des Lumières (1770-1820), Paris, PUF, 1988, pp. 492-495).
Ainsi l'activité poïétique autonome du Philosophe dépasse même celle du sculpteur: car il «jette son Œil sur un amas de pierres jettées au hasard», tandis que l'artiste «jette l'Œil [⋯] sur un bloc de marbre», à savoir sans porter atteinte à la solidité de la pierre. Tous les deux ont beau se distinguer par leurs procédés de création soustractif ou additif, ils se réunissent cependant par le fait qu'ils présentent au matériau informe, et cela avant même que la moindre forme de l'Œuvre soit conçue, leur revendication figurative externe. Cette revendication, leurs regards la projettent sur le matériau, au lieu de simplement discerner la forme de la pierre (D. Diderot, «Beau», dans ENC, t. II, p. 178). Bien avant que l'Œuvre d'art réussisse à développer des qualités énergétiques en soi-même, déjà l'imagination esthétique dispose de caractéristiques poïétiques et énergétiques.