Conference given outside the academic context (Diverse speeches and writings)
Influenceurs et créateurs de contenus : un phénomène contemporain
LUKASIK, Stéphanie
2024
 

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Keywords :
influenceurs; medias; Luxembourg; réseaux sociaux; Digital Ethics; Influence; media literacy; democracy
Abstract :
[fr] Le phénomène des influenceurs n’est en aucun cas une nouveauté. Ce qui est nouveau est sa pratique transposée au numérique. En effet, la pratique de l’influence est fondée sur une théorie scientifique « L’influence personnelle » de l’École de Columbia (1939-1977). Pendant onze années d’études scientifiques en communication sur l’influence et les effets des médias, les chercheurs ont découvert que l’influence la plus persuasive à court terme est l’influence personnelle, c’est-à-dire celle issue des personnes. Cette découverte a eu lieu d’abord dans le domaine politique publiée au sein de deux ouvrages fondateurs (The People’s choice en 1944 et Voting en 1954) puis le modèle a été éprouvé dans tous les domaines (mode, achats, culture, etc) publié dans l’ouvrage Personal influence en 1955. Au sein de ce modèle, deux concepts clés permettant d’expliquer le fonctionnement de l’influence personnelle ont émergé : le leader d’opinion du quotidien et l’homophilie (l’affinité par ressemblance). Les chercheurs à l’origine des premières études sur les réseaux sociaux non numériques avaient déjà réparti les individus selon deux rôles : les leaders et les suiveurs (followers). La définition des influenceurs a elle ensuite été théorisée par le professeur Gabriel Weimann en 1994 qui va rebaptiser le leader d’opinion en « influential », très proche du terme actuel « influenceur ». Selon le titre éponyme de son ouvrage, les influenceurs sont des gens qui influencent des gens. Les concepts clés de l’École de Columbia (Katz et Lazarsfeld 1955) et de Gabriel Weimann vont être utilisés dans des pratiques professionnelles à visée lucrative pour inciter au comportement d’achat (marketing d’influence) et pour viser un public cible (stratégies de communication, relations publiques). Cette influence est plus que jamais d’actualité sur les réseaux sociaux comme cela a été démontré lors de l’actualisation du modèle de l’École de Columbia aux réseaux sociaux publiée au sein de l’ouvrage L’influence des leaders d’opinion. Un modèle pour l’étude des usages et de la réception des réseaux socionumériques (Lukasik, 2021). Cette réactualisation du modèle offre des clés pour comprendre l’apparition et l’évolution du phénomène contemporain des influenceurs. Les premiers créateurs de contenus se sont faits connaître majoritairement avec YouTube en 2011 en créant du contenu sur un domaine, constituant de nouveaux médias individualisés. À l’origine, la création de contenu n’est pas une catégorisation professionnelle permanente. C’est grâce à leurs communautés que les créateurs de contenus sont devenus influenceurs car les individus les suivent avant tout pour leurs contenus. Au Luxembourg, selon l’étude Medialux (Kies & Lukasik, 2024), les contenus créés par les usagers (proches et influenceurs) sont devenus de véritables sources d’information sur tous les sujets chez les 18-24 ans. Les créateurs de contenus/influenceurs concurrencent les journalistes en raison des contenus d’information personnalisée qui correspondent davantage aux centres d’intérêt des usagers. Néanmoins, les influenceurs et les créateurs de contenus sont-ils tous les mêmes ? Afin de les distinguer, il faut revenir sur la professionnalisation des influenceurs qui est devenue une pratique professionnelle lucrative. Le terme « influenceur » relève d’une « prétention communicationnelle à influencer » (Grignon, 2020). Cette appellation vise à légitimer une pratique professionnelle fragile doublement dépendante. Elle est dépendante à la fois des plateformes des réseaux sociaux, qui par leurs systèmes algorithmiques rendent instables la pratique de l’influence. La chercheuse Brooke Erin Duffy évoque cette instabilité par le concept de précarité algorithmique (Duffy, 2020). Cette pratique est également dépendante des usagers et de leurs interactions. Les usagers constituent les communautés et les principaux arguments économiques des influenceurs auprès des marques et des annonceurs. Malgré une pratique qui repose sur une double instabilité (les plate- formes et les usagers), les premières agences d’influenceurs ont été créées. La pratique professionnelle n’étant pas stabilisée ni encore régulée de manière exhaustive, des dérives liées aux pratiques des influenceurs sont apparues. Parmi ces dérives, l’influenceur luxembourgeois Dylan Thiry a été visé par des accusations de trafic d’adoption d’enfants ; en France, l’agence Shauna Events de Magalie Berdah et les affaires des « influvoleurs » ont été dénoncés par le rappeur Booba et le collectif d’aide aux victimes d’influenceurs (AVI) ; en Italie, l’influenceuse Chiara Ferragni a été au cœur d’une affaire de détournement de dons d’un hôpital. Ainsi, la création de contenus par les usagers est loin d’être anecdotique comme l’indique la directive des Services de médias audiovisuels en 2018 : « Les « contenus créées par l’utilisateur » (…) ont un impact considérable en ce qu’ils permettent plus facilement aux utilisateurs de façonner et d’influencer l’opinion d’autres utilisateurs». Ce phénomène soulève de nouveaux enjeux et défis sociétaux, notamment en ce qui concerne la protection des enfants et de la santé mentale. D’une part, les kidinfluenceurs et les Sephora kids sont particulièrement problématiques en termes de risque de dysmorphie corporelle et d’incitation à la chirurgie esthétique de manière précoce, d’hypersexualisation des enfants ou encore de challenges dangereux tels que le blackout sur TikTok. Ce jeu de foulard a déjà provoqué 82 décès d’enfants dans le monde. Les créateurs de contenus et les influenceurs peuvent constituer une porte d’entrée vers les comportements sexuels dangereux, la pornographie et la commercialisation du corps sur la plateforme britannique OnlyFans créée en 2016 (BBC news 2021 & Titheradge, 2022) et sur la plateforme française Mym fondée en 2010. Autre point préoccupant, des contenus de kidinfluenceurs peuvent être réutilisés pour inciter au matériel d’abus sexuels d’enfants (CSAM) sur Instagram (Stanford et Wall Street Journal (2023) ; Arte (2024)). D’autre part, ces nouveaux médias individualisés posent question pour le développement de l’esprit critique des citoyens. En effet, la réception de l’information par le prisme des créateurs de contenus peut fragiliser le pluralisme informationnel et aboutir à un manque d’esprit critique avec des effets anti-démocratiques sur la formation des opinions et des choix des citoyens. Et pour cause, actuellement, aucune obligation éthique, déontologique du respect du contradictoire ou encore de mobiliser des sources légitimes pour les créateurs de contenus n’est imposée par la loi. Certains contenus issus de personnes non expertes dans le domaine comme la santé peuvent dès lors créer de la confusion auprès des usagers. Par conséquent, des connaissances scientifiques neutres s’avèrent nécessaires pour saisir l’ampleur du phénomène, protéger les mineurs et les citoyens dans le respect de la liberté d’expression et d’information. Car, la stratégie actuelle de se limiter à la seule compréhension des professionnels ne permet pas une compréhension exhaustive du phénomène et de ses effets sur les individus pour légiférer. La législation européenne du Digital Services Act (DSA) qui s’applique pour les contenus illicites et la modération a posteriori ainsi que la Directive sur les services de médias audiovisuels (AVMS) sont loin d’être suffisants pour réguler la pratique et ses dérives. Les plateformes ont une responsabilité limitée en tant qu’hébergeurs et organisateurs de contenus créés par l’utilisateur. Il est en définitive primordial de développer la corégulation, l’autorégulation et l’éducation des citoyens aux réseaux sociaux pour favoriser la sécurité en ligne et la responsabilisation des créateurs de contenus et des utilisateurs.
Disciplines :
Communication & mass media
Author, co-author :
LUKASIK, Stéphanie  ;  University of Luxembourg > Faculty of Humanities, Education and Social Sciences (FHSE) > Department of Humanities (DHUM) > Philosophy
Language :
French
Title :
Influenceurs et créateurs de contenus : un phénomène contemporain
Publication date :
2024
Event name :
Mediareform
Event organizer :
Service des médias, de la connectivité et de la politique numérique, Ministère d'Etat & Université du Luxembourg
Event place :
Luxembourg, Luxembourg
Event date :
2 juillet 2024
Event number :
2
Available on ORBilu :
since 07 December 2024

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