Spin-off d’élèves en procès : ruse ou vertu didactique du livre numérique enrichi ?

Notre proposition s’axe autour d’un projet de recherche-design en éducation qui consiste en la réédition du roman La Ballade de Lucienne Jourdain (Hydre Éditions, 2015 et 2020) de l’auteur luxembourgeois Tullio Forgiarini en livre numérique enrichi d’un appareil didactique pour l’enseignement secondaire (Melusina Press, à paraître). Des moments de lecture immersive, appuyée sur la rédaction d’un carnet de lecture, sont articulés à des moments d’étude collaborative autour d’activités à réaliser en « groupe de lecteurs » selon la logique de la plateforme. Un jeu de rôle final consiste à imaginer le procès de la protagoniste. Le projet suit d’une part une volonté de diffusion de la littérature luxembourgeoise à l’école, quasiment absente des programmes officiels. D’autre part, il s’agit d’explorer les possibilités didactiques du numérique dans l’enseignement littéraire, en phase avec la culture médiatique des élèves. Cette double aspiration interroge le processus de scolarisation (Denizot 2021) auquel le roman est soumis. La ludification du dispositif relève-t-elle de la ruse pédagogique ou bien l’OSS transmodal (Louichon 2017, puis Etienne/Mongenot 2023) créé permet-il le développement de gestes appropriatifs spécifiques (Shawky-Milcent 2014) au sein d’une plus large acculturation digitale (Brunel 2021) ?
L’hypothèse qui sous-tend le projet s’appuie sur le potentiel didactique du « premier degré de la littérature », considéré « comme matrice impersonnelle de subjectivation » et qui « désigne les conditions sous lesquelles une œuvre littéraire offre à ses lecteurs un certain usage de leur imagination » (David 2014). De fait, il s’agira de mesurer, par l’étude des traces des élèves issues de la première phase d’itération, l’effet de la forte référentialité du dispositif, par exemple dans sa vocation à instruire le dossier du procès, afin d’estimer si les activités de lecture-écriture qui prolongent l’univers de fiction du roman, sur le modèle du spin-off, constituent un levier efficace à un engagement personnel avec le texte. Si la confrontation axiologique entre éthique et esthétique que le jeu de rôle final implique met au défi l’univers de fiction premier par les univers satellites créés par les élèves, dans quelle mesure ce déplacement des frontières de la fiction favorise-t-il une réflexion sur le pouvoir des œuvres à instruire le réel ?

Références bibliographiques
1. Brunel, Magali, L’Enseignement de la littérature à l’ère du numérique, Rennes, PUR, 2021.
2. David, Jérôme, « Chloroforme et signification : pourquoi la littérature est-elle si soporifique à l’école ? », Études de lettres, no.1 : « Les passions en littérature », 2014, en ligne : http://journals.openedition.org/edl/604.
3. Denizot, Nathalie, La Culture scolaire : perspectives didactiques, Bordeaux, PUB, 2021.
4. Étienne, Bénédicte, et Christine Mongenot, « Adjuvants, auxiliaires ou substituts : les OSS transmodaux en question », Le français aujourd'hui, vol. 220, no. 1, 2023, pp. 5-17.
5. Shawky-Milcent, Bénédicte, La lecture, ça ne sert à rien !, Paris, PUF, 2014.