Abstract :
[en] 1University of Luxembourg, Luxembourg; 2Université Paris VIII; jean-marie.weber@uni.lu, ilaria.pirone@univ-paris8.fr
Les remaniements actuels du lien social produisent dans notre modernité des processus de socialisation de plus en plus affaiblis et hétérogènes. Le collectif semble être sous l’ordre de l’autonomie des individus (Blais, Gauchet & Ottavi, 2008 : Conditions de l’éducation), de leurs demandes et frustrations de ne pas tout obtenir. (Melman, 2002 : L’homme sans gravité. Au-delà des questions stratégiques, beaucoup d’enseignants cherchent comment permettre l’autonomie de l’élève et comment co-habiter dans les institutions, afin que la nécessaire réciprocité de l’être humain puisse être effective. (Malherbe, 1996 : L’incertitude en éthique). Ce sont des questions qui touchent la dimension éthique.
Nombre d’enseignants que nous croisons dans le cadre de nos formations et de nos recherches universitaires se demandent, et nous demandent, « comment être juste ? » dans la relation avec les élèves ? Ils s‘interrogent sur ce qui est dû à chacun des élèves qu’ils rencontrent, pour qu’il puisse apprendre, se former, et devenir sujet. Cette question est représentative de la tension constitutive face à laquelle le sujet se trouve confronté en permanence : entre l’éthique comme compétence professionnelle et donc nécessité déontologique, et une pratique de l’éthique de la rencontre qui doit quand même passer « par le crible de la norme » (Ricœur,1990 : Soi-même comme un autre), par l’application de règles. Les normes pédagogiques ne peuvent pas, à elles seules, réguler l’acte éducatif pour qu’il soit « juste », et c’est ce reste, ce qui dépasse la dimension normative que les enseignants questionnent et recherchent dans les espaces de formation. C’est alors ce point, ce reste, que nous mettons au travail dans des dispositifs d’enseignement orientés par la psychanalyse. Il s’agit de déconstruire la tentante illusion d’une formation à l’éthique, qui serait équivalente à une formation à une discipline, pour que les enseignants ou futurs enseignants entendent qu’une éthique qui se soutient d’une valeur de justice ne peut pas être donnée par avance. Elle nécessite la mise au travail et la construction d’une position subjective et créative dans un cadre normé dans lequel, enseignant et enseigné, doivent trouver une place d’être parlant.
Dans ces espaces de formation, nous essayons de soutenir un processus d’élaboration autour des normes pour que le sujet puisse travailler avec les injonctions sur-moïques et leurs tentations jouissives dans un cadre institutionnel. « L’école c’est injuste », peuvent dire très souvent les élèves le plus en difficulté. Or cette injustice fondamentale ne peut être acceptée que si des adultes pliés à la même Loi symbolique, essaient de rechercher et d’innover le plus justement possible en prenant en compte le jeu de places, la dimension transférentielle propre de la relation éducative, le désir, et l’angoisse des interlocuteurs.
C’est à l’aide de la présentation de situations recueillies dans des dispositifs d’analyse clinique de pratiques professionnelles, et d’interviews post-formation avec une cohorte de cinq enseignants, que nous montrerons comment nous essayons de mettre au travail les demandes des enseignants en les articulant à la question éthique du désir et de la rencontre.