Abstract :
[fr] L’esthétisation actuelle et l’hyper-différenciation des vins en fonction de leur terroir (lui-même défini comme conjointement naturel et humain) s’inscrit dans un processus historique de rationalisation plus large. Dans le cas du vin, trois vecteurs (la régulation étatique, la consolidation scientifique et la diffusion médiatique) ont été décisifs, depuis le XIXe siècle, dans la cristallisation de l’œnophilie. Cette figure culturelle – institutionnalisée au point d’être enseignée dans des cours étatiques de formation continue pour adultes, au Grand-Duché de Luxembourg – puise précisément dans la normativité épistémique des trois vecteurs, qui ont tous mis en évidence, pour l’utiliser en fonction de leurs positions respectives, l’importance de la provenance géographique des vins.
D’abord, je me concentrerai sur le vecteur étatique, qui a le pouvoir d’intégrer des aspects des deux autres et dont la performativité est la plus élevée : l’implication de l’Etat luxembourgeois dans la viticulture construite comme proprement nationale. Le contrôle étatique comporte un volet économico-juridique et un volet politico-symbolique, dont des exemples concrets (tant législatifs que culturels) montreront qu’ils se renforcent réciproquement, pour aboutir à un usage métonymique d’une ‘terre natale’ inaliénable, se prêtant à une mémorisation et à une identification topophile collective.
De leur côté, les œnologues-chargés de cours, en tant que médiateurs scientifiques, se basent sur la notion de terroir pour en déduire les caractéristiques sensorielles des échantillons, mais également, dans une extrapolation politique, la démarche anti-industrielle des producteurs de ces vins. Ce faisant, ils véhiculent une normativité épistémique, posant d’emblée l’analysabilité du vin (ce qui est socialement spécifique) et faisant un usage moral de la science. Elle pourvoit les individus consommateurs de rapports à soi – qui sont censés les autonomiser, alors qu’ils canalisent leurs jugements.